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Positionnement du LOHC parmi les technologies de stockage d'hydrogène

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L'objectif de cet article est de comparer différentes technologies de stockage d'hydrogène en analysant en particulier la technologie LOHC.

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Par Alice JACQUET-FERRAND.

Les besoins énergétiques croissants de notre société requièrent le déploiement de nouvelles capacités de production. En 2019, la production mondiale d’électricité a dépassé les 24 000 TWh[1]. Le contexte climatique nous conduit à développer des capacités de production d’énergie plus vertueuses. Or, l’intermittence du solaire et de l’éolien implique une consommation de l’électricité produite en temps réel ou bien sa conversion sous une autre forme afin de la stocker pour un usage ultérieur. La part d’électricité stockée reste encore très faible devant la consommation avec seulement 800 GWh[2] en 2019. Les solutions de stockage d'énergie à l'échelle du réseau manquent pour faire face à la part croissante de ces énergies renouvelables fluctuantes. Pourtant, plusieurs solutions, plus ou moins répandues, existent : le stockage hydraulique pompé est le moyen majoritaire (98%) pour stocker l’électricité actuellement. D’autres moyens tendent à se développer dont le stockage par batterie ou le « Power-to-Gas-to-Power ». Ce dernier consiste à stocker l’électricité sous forme gazeuse puis de la restituer sous forme électrique. L’hydrogène enfin est considéré comme un vecteur prometteur de stockage d’énergie électrique.

La dynamique actuelle autour de l’hydrogène ne vous a certainement pas échappé : le vecteur hydrogène est fortement pressenti comme moyen de décarboner les usages énergétiques de demain. Plusieurs pays l’ont d’ailleurs inclus dans leur plan de développement, à l’instar de l’Australie, dont l’objectif « H2 under 2 » vise la production d’un kg d’hydrogène vert en dessous de 2$[3]. Si aujourd’hui les procédés de production d’hydrogène émettent des gaz à effet de serre, la tendance est à produire un hydrogène renouvelable, c’est-à-dire dont la production n’a pas émis de CO2. Des moyens de production d’hydrogène renouvelable vont massivement être déployés au cours des prochaines années. Si vous vous demandiez pourquoi la production d’hydrogène actuelle est à 98% carbonée, une des raisons majeures reste économique. En effet, produire 1kg de la molécule verte coute entre 5 et 30 €[4] (15 à 90c€/kWh), soit jusqu’à 19 fois plus onéreux que la molécule grise. A l’instar du photovoltaïque il y a quelques années, des « giga factories » d’électrolyseurs se développent et contribueront à la baisse des couts de production. Cependant, il ne faut pas négliger la logistique que l’hydrogène implique car il n’est pas forcément consommé là où il est produit. Nous allons devoir être capable de stocker ces grandes quantités et de les transporter de manière efficace. Vous l’aurez compris, le stockage à grande échelle jouera un rôle fondamental dans l’économie Hydrogène de demain.

Comment est stocké l’hydrogène ?

L’hydrogène est communément stocké dans un réservoir sous forme liquide ou gazeuse depuis de nombreuses années. Il est également possible d’intégrer la molécule au sein de matériaux grâce à des procédés dits d’absorption ou d’adsorption. Le choix d’un système de stockage dépendra ainsi de paramètres logistiques (la quantité, durée et les modalités de transport par ex.) et de critères économiques. Or, le transport de ce gaz est onéreux : pour qu’il ait un sens économiquement parlant, il est capital d’augmenter la densité de stockage du gaz. Comment comparer alors les caractéristiques des moyens de stockage de l’hydrogène ?

Plusieurs solutions existent :

Le stockage gazeux dans des réservoirs. N’offre que de faibles densités de stockage et impose d’avoir des zones de sécurité étendues dues aux hautes pressions exercées et au caractère inflammable du gaz.

Le stockage cryogénique liquide à -253°C. Manière intéressante d'augmenter la densité de stockage mais énergivore tant dans le procédé de liquéfaction que dans le procédé de stockage. Cette solution n’est pas compatible avec du stockage long terme en raison des pertes de transfert et d’évaporation. En effet, 30 à 40% de son contenu énergétique est requis pour le liquéfier[5] et son taux d’évaporation journalier est compris entre 1 et 15% en fonction des quantités stockées[6].

L’utilisation d’ammoniaque (NH3) comme un porteur intermédiaire. La chaine logistique bénéficie de sa forte densité volumétrique d’hydrogène et de sa stabilité pour le stockage long-terme. Le principal danger est sa toxicité : une exposition de moins de 10 minutes à une concentration de 1% peut être mortelle.

Le stockage dans des hydrures métalliques. Ne requiert pas d’étape de compression et est faisable à des pressions inférieures à 30 bar. L’hydrogène peut être stocké sur de longues périodes sans risques de fuites si aucune source de chaleur n’est apportée. L’enjeu de ce type de stockage porte sur la très faible conductivité thermique du système ; il est nécessaire d’optimiser le taux de transfert de chaleur pour réduire les temps de transfert.

La technologie LHC – Liquid Hydrogen Carrier. S’applique à des paramètres de pression et de température ambiants. Encore très peu utilisée, cette technologie semble présenter un intérêt pour le stockage, le transport et la libération d’énergie à grande échelle.

Il est intéressant de comparer ces différents médias de stockage selon leur densité gravimétrique, notée wt-%. Dans notre cas, il s’agit de la capacité d’un média à intégrer une part d’hydrogène. Ainsi, un matériel ayant une densité gravimétrique de 1,5% et une masse de 60 kg pourra intégrer 0,9kg d’hydrogène.

Figure 1 - Capacité des médias à stocker de l'hydrogène selon leur masse et masse de l'hydrogène par unité de m3. Source[7]

 

Quelles sont les options de transports de l’hydrogène ?

Le transport par pipelines : le cout opérationnel peu élevé permet de fournir de grands volumes d’hydrogène. Cependant, les propriétés de l’hydrogène (corrosion, fuites, etc.) limitent son injection dans les infrastructures existantes puisque son utilisation à long terme dégrade les pipelines (fragilisation de l’acier et des soudures). Le transport d’hydrogène n’est envisagé que dans structures déjà existantes en raison des couts d’investissements onéreux : des pipelines dédiés à l’hydrogène et la reconversion des réseaux de gaz naturel, dans lesquels il n’a été jusqu’alors possible d’injecter que 20% d’hydrogène sans dégrader la structure[8].

Le transport par tube trailers : option la plus utilisée pour le transport de quantité n’excédant pas 400 kg d’H2 en moyenne (à 220 bars) pour un stockage dans des réservoirs en acier. Cette solution est couteuse car il faut pressuriser le gaz puis le transporter par camions (maintenance, carburant, amortissement, etc.). Des réservoirs en matériaux composites arrivent sur le marché, permettant de stocker l’hydrogène à une pression plus importante (500 bars). Ces réservoirs sont plus onéreux que les réservoirs en aciers, mais ils permettent de stocker jusqu’à 1100 kg, permettant d’amortir davantage les couts opérationnels.

Le transport cryogénique : solution la plus utilisée lors pour transporter de grandes quantités en absence de pipelines. Le procédé de liquéfaction de l’hydrogène est couteux et énergivore : consommation supérieure à 30% du contenu énergétique de l’hydrogène et les fuites sont importantes (encore plus lorsque la surface de stockage est élevée). Le camionnage d’hydrogène liquide fait plus sens sur de grandes distances (>300-400 km) que le camionnage gazeux puisque de plus grandes quantités d’hydrogène peuvent être stockées.

Le transport via le vecteur ammoniaque : option peu utilisée actuellement, quelques projets de démonstration sont en cours de planification. Les couts de production de l’ammoniaque, de transport, de dissociation en hydrogène et de compression seront à qualifier mais le transport de l’ammoniaque semble faire davantage sens économiquement que le transport d’hydrogène gazeux. 

Le transport par LOHC : requiert un cout d’investissement du trailer plus modéré que les solutions précédentes avec un faible niveau de maintenance et une capacité de stocker de grandes quantités d’hydrogène. On peut considérer que si les conditions de transfert ne sont pas énergivores et relativement peu couteuses, le transport LOHC peut être bien plus compétitif que le transport par tube trailers gazeux par exemple.

Option de stockage-transport

Avantages

Inconvénients

Hydrogène liquide

LH2

  • Hydrogène pur
  • Haute densité de stockage
  • Température de stockage : -253°C
  • Investissements pour maintenir la température
  • Procédé énergivore
  • Déchargement spontané fort (fuites)

Ammoniaque

NH3

  • Stabilité
  • Infrastructures existantes
  • Pression : ~10bars
  • Molécule toxique
  • Craquage haute température et peu mature

Porteurs Organiques Liquides

LOHC

  • Infrastructures existantes
  • Pression atmosphérique
  • Durée de stockage >1 an
  • Besoin d’énergie pour libérer l’H2
  • Rapatriement du liquide porteur au point d’expédition

Table 1 - Aspects avantageux et désavantageux des technologies de stockage-transport

Zoom sur les porteurs liquides d’hydrogène

Quelles caractéristiques ?

La technologie LHC utilise un procédé de conversion chimique réversible qui stocke l’hydrogène dans un état chimique différent de l’hydrogène moléculaire : l’hydrogène est associé à un liquide.

Les porteurs organiques liquides d'hydrogène (LOHC), un sous-ensemble de porteurs liquides, se sont révélés prometteurs pour le transport et le stockage de H2.

Le procédé comprend deux phases distinctes :

  • l’hydrogénation (LOHC+) permet de charger l’hydrogène au sein d’un support liquide appelé le transporteur. Dans cet état, le transporteur chargé peut être stocké ou distribué sans pertes.
  • Si de l'hydrogène est nécessaire, le transporteur peut être déchargé indépendamment du temps et du lieu, c’est la phase de déshydrogénation (LOHC-).

Figure 2 - Procédé de stockage et libération de l'hydrogène au sein d'un porteur

Plusieurs substances peuvent être utilisées pour stocker l’hydrogène. Les acteurs HYDROGENIOUS et H2 Industries utilisent le support liquide DBT (DibenzylToluene) qui a l’avantage d’être déjà produit en quantités industrielles puisqu’il est utilisé en tant que fluide caloporteur et est commercialisé en moyenne à 5€ du kg[9]. Le DBT a des propriétés avantageuses : il ne présente aucun risque d’explosion ni d’inflammabilité, est très peu toxique en comparaison du diesel et de l’essence et son état liquide à température ambiante permet de cibler des applications de mobilité, s’affranchissant ainsi de procédés de traitement contraignants. Seule ombre au tableau, les porteurs organiques finissent par se dégrader avec le temps sous forme d'émissions de carbone. Récemment, des supports à base de silicium, sans carbone, ont été introduits comme solution au problème. Sur ce segment, on retrouve le français HySiLabs qui utilise un porteur à base de silicium. 

Hydrogenious[10] a estimé qu’un camion pouvait transporter :

  • Soit 400 kgH2 gazeux à 200 bar,
  • Soit 1 800 kgH2 avec la technologie LOHC utilisant le DBT,
  • Soit 3 300 kgH2 liquide à -253°C.

Le transport par LOHC semble être relativement peu contraignant (logistique simplifiée) : on peut transporter de grandes quantités d’hydrogène en toute sécurité (dépend du matériel utilisé) et de manière flexible. A terme, on peut imaginer que des moyens de transports tels que les trains et les bateaux supertankers pourront être utilisés afin de déplacer plusieurs tonnes.

 

Quel est le statut de la technologie LOHC ?

Pourtant prometteuse, la technologie LOHC est encore très peu répandue. Les rares systèmes en opération sont des démonstrateurs. Certains freins, probablement limitant, peuvent être précisés : les besoins en énergie pour libérer l’hydrogène stocké et le purifier ont un cout. De plus, le liquide porteur doit être renvoyé à son point d’expédition pour être chargé une nouvelle fois, augmentant les aspects logistiques et économiques. Une analyse économique réalisée par la Commission Européenne indique que les couts de libération de l’hydrogène contenu dans le porteur représentent plus des deux tiers du cout total de transport[11].

Il est à présent nécessaire de se demander quelle technologie de stockage – mode de transport sont les plus pertinents. Aux avantages et inconvénients identifiés précédemment viennent s’ajouter deux clés de lecture essentielles : la distance et la durée du transport. On peut retenir que :

  • le transport par pipeline est pertinent pour de grandes quantités d’hydrogène et sur autant de km que le réseau s’étend.
  • le transport cryogénique est envisagé sur de plus longues distances mais doit tenir compte d’une limitation temporelle. Au-delà d’une dizaine de jours, une trop grande partie de l’hydrogène se sera évaporé à cause des fuites.
  • Le transport liquide (porteurs, ammoniaque) fait sens sur de très grandes distances et sans limite de temps car la technologie de stockage n’est pas sujette aux fuites spontanées. Les considérations sont davantage économiques compte-tenu de l’énergie nécessaire pour libérer l’hydrogène intégré dans le porteur.

 

Pipelines

Cryogenic

Liquid carriers

Long distances

+

+

++

Duration limitation

-

++

-

CAPEX

++

++

-

OPEX

-

++

++

(Highly depending on electricity cost)

Table 2 - Comparaison des modalités logistiques et financières selon les technologies

La technologie LOHC actuelle sera à priori pertinente sur des marchés de niche qui lui permettront de décoller. On peut par exemple retenir le marché du transport longue distance et longue durée. Ce type de transport peut notamment être envisagé dans des contrats d’importation d’hydrogène. L’Allemagne, par exemple, vient d’annoncer son accord d’importation de grandes quantités d’hydrogène provenant d’Australie. La distance portuaire de Perth à Hamburg supérieure à 20 000 km et le trajet de 30 jours[12] rendent le transport cryogénique inenvisageable et le transport par porteurs approprié.

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[6] Boil-off losses along the LH2 pathway, Lawrence Livermore National Laboratory, 2018

[7] Compilation de données INFINERGIA (from multiple sources)

[8] Projet GRHYD de STORENGY à Dunkerke

[10] Hydrogenious, fournisseur d’une des technologies LOHC

[11] Assessment of Hydrogen Delivery Options, EUROPA, 2021

[12] En considérant une vitesse de 15 nœuds marins soit environ 30 km/h